[ N°9 ] LA RIBA ? CARAMBA !
Un Seigneur, une terre, un impôt
Où l’on apprend que Bertrand de LANGUISSEL, chevalier seigneur du château d’Aubais, négocie le 22 février 1337 l’impôt pour le lieu appelé »la Riba ».
Pourquoi choisir ce lieu ? Vous allez découvrir que vous le connaissez tous déjà. Pourquoi choisir cette anecdote ? Car elle nous permet de découvrir l’histoire de ce seigneur d’Aubais et de cette lignée de seigneurs nîmois.
Pont de Villetelle
Une transaction en bonne et due forme
« Transaction portant reconnaissance féodale consentie par Pierre Chrestien dit Savarie, en faveur de noble homme Seigneur Bertrand de Languissel chevalier Seigneur du château d’Aubais, d’une terre en jardin situé dans la juridiction dudit château d’Aubais, lieu appelé à «la Riba», confrontant d’une part avec la terre des héritiers de Pierre TOFFANI, d’autre part avec la terre de Bernard d’Aujargues dit Reboul, et de deux parts avec les chemins publics, dont l’un tend d’Aubais à Sommières et l’autre tend d’Aubais aux Orts, ou à font Sobeyros, appelé le chemin dels Orts ; sous le cens annuel de quatre deniers et une obole». (21.02.1337). A.D.G. 1E 992 liasse des transactions inventaire des archives d’Aubais, 17ème.
Un seigneur, une terre, un impôt
Cela signifie que Mr CHRESTIEN reconnaît que cette parcelle est taxée d’une servitude au seigneur local (ici, Bertrand de LANGUISSEL). Il paye chaque année une taxe au seigneur pour cette parcelle et cette «transaction» définit le montant de la taxe annuelle.
C’est une négociation, le seigneur n’impose pas. Il y a discussions pour fixer un prix juste entre la rentabilité que le terrain peut produire et le service que rend le seigneur : la sécurité et la protection du villageois contre les pillages des voleurs et brigands, ou des attaques d’ennemis, en les protégeant dans son château.
Chronologie familiale
Notre histoire débute il y a 740 ans. Au 13ème siècle, une grande famille de seigneurs cévenols les « de LANGUISSEL » a des implantations importantes vers Nîmes et sa région.
Déroulons le temps avant d'arriver à Bertrand de Languissel chevalier et seigneur d'Aubais vers 1330 :
- Le 17 mai 1281, Guiraud de LANGUISSEL, aïeul de l'évêque de Nîmes du même nom, achète la seigneurie d’Aubais, Nages et Solorgues (1). Il possèdait, dès le commencement du 13ème siècle, «un fief situé près du Vistre, à une petite lieu de Nîmes » (2),
- Le dernier de ses 4 petits-fils, Hugues, fut chevalier des Arènes de Nîmes,
- Le fils d'Hugues, Bernard de LANGUISSEL, fut lieutenant du sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, en 1311 et en 1314 et décède peu après 1325, c’est son neveu Bertrand de LANGUISSEL qui hérite (3).
Suivons quelques moments de sa vie dans les documents d’archives :
En 1341, Bertrand de LANGUISSEL est qualifié de chevalier, il est témoin de l’établissement de la gabelle (4). D'ailleurs, il est trésorier du roi de la sénéchaussée (5) de Nîmes.
Le 13 aout 1345, il est désigné comme chevalier et seigneur d’Aubais et signe comme témoin, le règlement fixant les émoluments des greffiers (6).
La même année, il conclura une transaction passée « entre Noble et puissant homme Seigneur Bertrand de LANGUISSEL, chevalier Seigneur d’Aubais de Nages, et de Solorgues d’une part et les Caritadiers dudit lieu d’Aubais (7). Les Caritadiers sont des consuls du village élus pour un an, un peu l’équivalent de nos conseillers municipaux actuels. Ils ont en charge, notamment d’aider «au soulagement des pauvres et des malades» (02.10.1345).
Bertrand de LANGUISSEL, chevalier, seigneur d’Aubais est Lieutenant du sénéchal de Beaucaire Guillaume ROLLAND, en 1346 (8).
Il fit arrêter le châtelain de Beaucaire qui conspirait contre le roi en faveur des Anglais (9) (03.05.1346).
Mais 1348 marque la mort de Bertrand de LANGUISSEL, chevalier, seigneur d’Aubais Nages et Solorgues. S’agit-il des méfaits de la pandémie de peste noire venue de Marseille ? Nous pencherons volontiers pour cette hypothèse (10),
Le chemin dels Orts
Revenons à « 1337 », c’est le début de la guerre de Cent ans (11), contre les Anglais.
A cette époque, Le chemin public, qui va « d’Aubais à Sommières » est très probablement l’équivalent de l’actuel chemin de Lagardie (terme médiéval signifiant soit un pâturage enclos, soit un bois réservé au bois de feu, soit un poste de gardes) et de son prolongement vers le village par le passage du Pont de Roche (ce pont est bien plus tardif, de la fin du XIXe). Cette trouée naturelle dans la faille géologique du plateau du village (aménagée depuis par des hauts murs) est un passage obligé et évident pour quitter les faubourgs du village médiéval.
Le chemin public, qui va « d’Aubais aux Orts, ou à font Sobeyros, appelé le chemin dels Orts » existe toujours, partant du village il va à la fontaine, au lavoir public de la source pérenne de Font Sobeyros (supérieur, située au dessus, ancien occitan du XIIe), à l’actuel lieu dit « les Platanes » ou le « mas des Abeilles ». Les « Orts » sont, en ancien occitan, des jardins potagers irrigués.
Le croisement de ces deux chemins, forme deux des limites de la parcelle « la Riba » (la Rive, en bordure du Rieu), les autres sont des propriétaires voisins dont nous ignorons tout.
Cela permet de situer ce jardin cultivé probablement en potager: l’actuel pré de l’arène, «le Bouaou» de la manade de la Vidourlenque.
(1) Léon MÉNARD, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes, T.II, 1874, p.101. Et Preuves, Chartes LXXVI.
(2) Le fief de Languissel (latin : Languissellum) est situé à une petite lieu au sud de Nîmes, près du Vistre. C’est un jurisconsulte de Nîmes, Bernard qui le possédait et qui en pris le nom au XIIIème siècle. Ce fief jouxtait :
-Du levant : le domaine des hospitaliers de St Jean de Jérusalem.
-Du couchant : un autre domaine dit de la Bastide appartenant au Chapitre de l’Eglise de Nîmes, séparé par le chemin qui va de Nîmes à Beauvoisin.
-Du nord : le Vistre.
-Du midi (sud) : le chemin qui va de Caissargues à Vauvert, qui est connu aujourd’hui sous le nom de chemin des canaux.
(3) Léon MENARD, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes, T.II, 1874, p.101.. et Maurice ALIGER, la Vaunage au moyen-age, 1986, p. 105.
(4) Léon MENARD, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes, T.II, 1874, p.101.. et Maurice ALIGER, la Vaunage au moyen-age, 1986, p. 105.
(5) La sénéchaussée de Beaucaire, de 1215 jusqu'à la Révolution française, fut une circonscription judiciaire qui étendit sa juridiction sur les actuels départements de l'Ardèche, du Gard, de l'Hérault et de la Lozère. Elle était placée sous la responsabilité des sénéchaux de Beaucaire, officiers au service du roi de France. Ils avaient leur résidence à Nîmes, ce qui les fait nommer quelquefois sénéchal de Beaucaire et de Nîmes.
(6) Louis REBUFFAT, La Roque d’Aubais, dédier aux fondateurs de la critique, 2 et 3 ème éditions, 1899 et 1900. p.1-2. Et Léon MÉNARD, Histoire civile, Ecclésiastique et Littéraire de la ville de Nîmes, 1874, tome VI, Successions Chronologiques relatives à l’histoire de la ville de Nîmes, p.9.
(7) A.D.G. 1E 992, liasse des Transaction, bibliothèque de Nîmes, manuscrit N° 202, folio. 394. copie du XVIIIe, et Charles de BASCHY, 1751, Pièces Fugitives pour servir à l’Histoire de France, Mélanges, Tom. I, p.54.
(8) Louis REBUFFAT, La Roque d’Aubais, dédier aux fondateurs de la critique, 2 et 3 ème éditions, 1899 et 1900. p.1-2. Et Léon MÉNARD, Histoire civile, Ecclésiastique et Littéraire de la ville de Nîmes, 1874, tome VI, Successions Chronologiques relatives à l’histoire de la ville de Nîmes, p.9.
(9) GUIRAN, recherche historique sur la sénéchaussée de Beaucaire, p.68-69.
(10) Maurice ALIGER, La Vaunage au moyen-age, p.47 et 106.
(11) La guerre de Cent Ans est un conflit entrecoupé de trêves plus ou moins longues, opposant, de 1337 à 1453, la dynastie des Plantagenêt à celle des Valois et, à travers elles, le royaume d'Angleterre et celui de France.
(12) https://static.aujardin.info/cache/th/img9/permaculture-jardin-600x450.jpg
Auteur : François Lavergne
Historien amateur, passionné et éclairé, François, co-Président de l'association, et par ailleurs aubaisien accomplit un formidable travail de recherche et de collectionne depuis de nombreuses années objets et documents relatifs à l'histoire d'Aubais. Conférencier et guide à ces heures perdues, son patient et minutieux travail de recherche est à l'origine de cette série Biblioteca Albassiana.