[ N°6 ] UN PONT D'UNION
Le Vidourle, le pont, la mariée et plus si affinités...
Nous allons vous raconter les anecdotes qui ont jalonné l'histoire de la traversée du Vidourle jusqu'à l'existence du pont submersible entre Aubais et Villetelle tel qu'on le connaît aujourd'hui.
Pont de Villetelle
Passage à gué
Notre histoire commence au XIIème siècle, il y a près de 900 ans ! Un texte de l'époque montre que les habitants de Villetelle traversaient à gué le Vidourle pour se rendre à Gallargues sauf « au moment de l’année où les débordements du Vidourle empêchaient les habitants (de Villetelle) d’aller à Gallargues » (1156) (1)
A cette époque, le moulin de Carrière et son barrage ne sont pas encore bâtis. Ils le seront un siècle plus tard à la fin du XIIIème. Mais il est probable que ce gué était situé à l’emplacement de l’actuel pont submersible. Ce gué permettait de rejoindre le « Grand chemin » (l’actuelle route d’Aubais à Gallargues).
Marié à tout prix
Près de 500 ans plus tard, Prion, le fameux scribe du Marquis d'Aubais, nous apprend que ce gué était toujours emprunté au milieu du XVIIIème siècle lorsque le Vidourle n'était pas trop fort. Ces jeunes mariés de l'époque en font l'amère expérience :
« Le 27 janvier Catin GRUVEL dite de Jeanne GRUVEL(LE) à épousé à Aubais le nommé DUBOIS du lieu de St-Geniès-de-las(des)-Mourgues; qui est un lieu que, pour y aller d’ici, il faut passer le Vidourle a gué. Mais ce jour le fleuve étant les eaux duquel débordées, la futur et le futur mariés, ne scachant point nager que dans les éléments de la (leur) tendre amour, ont été le passer sur le pont de Sommières. » (27.01.1745) (2)
Ce n’est pas le Titanic mais quand même…
Un bac est mis en service en 1751. Retenons tout de même l'anecdote survenue un 1er février il y a 270 ans. Pierre PRION décrit le "naufrage" de la grande barque de passage guidée par les filins tendus d’un bord à l’autre. Ce jour-là, les passagers détachent par erreur le guide, ne prennent que la corde d’attache du bateau et perdent le contrôle du bac :
"Naufrage"
Le 1er février, Le bac ou grande barque de passage du Vidourle, au moulin de Carriere, chargée d’olives, que les nommer sieur GRUVEL la Treille, beau frère de Mr le curé d’Aubais, du sieur Jean LAUZIÈRE et du valet de labeur de ce premier. Au partir du bord de cette rivière, le sieur GRUVEL dit très haut à son valet de prendre la traille ; au contraire, il n’a prit que la corde d’attache du bateau. Par cette méprise très lourde, le bateau prit la fuite. Heureusement, comme il estoit très chargé, il s’est arrêté sur la chaussée. La moitié en haut et l’autre du coté d’en bas. La menace de se péril étoit très dangereuse. Dans cette situation les trois hommes embarqués criaient miséricorde.
Le valet disait tout haut : « Miséricorde, messieurs, se sont nos péchés qui nous ont conduits dans cet abîme » Les deux maîtres ne confessaient pas moins mentalement dans leur coeur, criant follement : « Seigneur, ayez compassion de nous et de nos femmes » Les deux maîtres étaient des plus riches habitants d’Aubais et des mieux faits, n’étant âgés que de vingt-cinq ans. A ce bruit si pitoyable le peuple des environs accourut sur les bords de ce fleuve chargés de cordes avec une petite nacelle…Ce n’est pas le tout, il s’agit de retirer ce bac, qui n’étoit qu’a deux doigts de cette affreuse cascade. Il fallut grand nombre d’hommes, avec quantité de moufles et de tours, pour sauver la barque et son précieux chargement. Ce qui ne fut fait sans beaucoup d’engins et de travail. Les trois tritons, heureusement sauvés, ont juré qu’ils ne repasseoient jamais plus de fleuve n’y de rivière que sur un pont…»(01.02.1751). (3)
Vous aurez remarqué que les échanges commerciaux, en cette période, se font en direction de Lunel ou de Montpellier, et non vers Nîmes ou Sommières.
Les producteurs d’olives doivent traverser le Vidourle, qui est « gros » à la suite des pluies de la veille. Cette destination peut indiquer la recherche d’une clientèle régionale ou étrangère via les ports du littoral, notamment celui de Sète et, plus près d’Aubais, celui de Lunel. (4)
Notre histoire de cette traversée se poursuit par une série de plans et d'illustrations aux XIXème et XXème siècles.
Nous perdons tout d'abord la trace de ce gué dans les documents ! En 1832, le procès de délimitation du territoire de la commune d’Aubais et de sa division en section, montre le quai et l’emplacement du moulin tombé de Villetelle, mais ne mentionne pas le gué sur son plan. Il n’y a pas de mention non plus du gué ou du bac dans le cadastre Napoléonien de 1835, pourtant très précis...
Fort heureusement, la carte de l’IGN de 1856 (au 80.000ème) permet de confirmer l’existence de ce bac toujours en amont du barrage du moulin.
Le Vidourle et ses caprices
Notre histoire se poursuit deux ans plus tard avec ce plan de 1858. « L’introduction de la demande du sieur Aimé COULOUDRE tendant à obtenir l’autorisation de réparer le barrage du moulin de Carrière sur le Vidourle » dessiné par l’ingénieur des services hydrologique du Gard montre d’un trait l’emplacement du bac encore en activité en amont du barrage à réparer.
En 1860 encore, « Les plans et profils des lieux de la rivière du Vidourle, sur la demande du Sieur COULONDRE en règlement du barrage du moulin de Carrière », confirme et note encore l’existence du gué en aval du barrage à réparer.
En 1867, le conseil municipal de Villetelle « approuve le projet de construction d’une passerelle sur le Vidourle au-dessous du moulin de Carrière. », mais ce projet n’aboutira qu’après 1870. (5)
Puisqu’en 1870, « Il n’y avait encore qu’un gué proprement dit et un barquier à l’amont du barrage ». (6)
La passerelle voulue par les élus de Villetelle a donc finalement bel et bien existé. Mais c'était sans compter sur les humeurs de la nature.
Et cette passerelle en bois de construction légère, fut rapidement emportée par une Vidourlade (entre 1870 et 1880) comme le démontre Marthe MOREAU dans son livre. (7)
En fait, Marthe MOREAU ne l’a pas vue, mais la Carte d’Etat Major du cadastre Napoléonien de St-Germain-en-Laye au 80 000ème (cf 1895, minute 1/40 000) démontre que le pont est déjà construit en 1880.
Presque aussi dévastatrices que la crue centennale de 2003, les terribles inondations d’octobre et novembre 1907 ont détruit partiellement, du côté de Villetelle, ce pont submersible.
La commune de Villetelle « a demandé l’étude d’un projet de restauration de la passerelle du Vidourle » …. Etant donné l’urgence, «Vu l’approche des vendanges les travaux seront remis de gré à gré pour être terminés fin aout ».
Un premier courrier du maire précise le 16 juillet 1908 : « Le conseil municipal est bien disposé a voter les fonds nécessaires mais il ose espérer qu’en raison de ses faibles ressources et de l’intérêt réel que la commune d’Aubais peut en retirer, en égard surtout de la gêne que la situation actuelle lui procure, le conseil municipal d’Aubais voudra bien contribuer à ce travail dans une faible proportion et accorder une subvention qui pourrait être fixée à 500 frs ». (8)
« Un 1er projet fixait le montant des travaux à la somme de 4700 frs
Le conseil trouvant ce prix beaucoup trop élevé un 2ème projet modifié, réduisant la dépense à 3700 frs.
La commune n’a reçu de l’état comme secours que la somme de 1710 frs ; reste donc pour compléter la dépense la somme de 2000 frs.
N’oubliez pas , cher collègue, que cette passerelle est la ruine de notre petite commune et que par sa position, sur la limite du territoire profite surtout aux habitants des communes voisines, principalement à ceux d’Aubais ». (9)
Les Travaux du projet « dressé par le service vicinal en vue de la réparation de la passerelle sur le Vidourle au passage du chemin vicinal n°5 » sont finalement réduits à la somme de 3000 frs. Seul « 1290 frs doit être supportée par la commune ». (10)
Terminons cette histoire par des images bucoliques. Vers 1898, une peinture murale (Maset de Nice, Aubais) montre un chasseur et des pêcheurs sur, et au pied du pont.
Finissons enfin dans les années 1965. Des cartes postales en couleurs montrent que « la plage sur le Vidourle » était déjà très fréquentée ainsi que le pont vu d’en dessous.
(1) - Cartulaire de Notre-Dame de Nîmes, chapitre 84.
(2) - Extrait du manuscrit « La chronologiette » de Pierre PRION scribe. p.34.
(3) - Extrait du manuscrit de Pierre PRION scribe. la Chronologiette, p.130
(4) - Michel P-M., 2033, p. 323-344).
(5) - (1867) Nicolas LASERRE, Aigues-Vives et ses hommes célèbres, Louis SALLE éditeur, Nîmes, 1939.
(6) - (1870) A.D.Hérault 7.S. 255. Voir « Le pont sur le Vidourle, Bernard BOUDOUX, Villetelle, 26.02.2000.
(7) - dans son livre « Le Vidourle, ses villes, ses moulins, ses ponts », Presse du Languedoc, 1992, p. 157-158.
(8) - Courrier du Maire de Villetelle. Archive .Communale .Aubais. 1.0.3.
(9) - (25.07.1908) Courrier du Maire de Villetelle. Archive.Communale.Aubais. 1.0.3.
(10) - Rapport de l’Agent-voyer de l’arrondissement, Archive.Communale.Aubais. 1.0.3.
1898 - Pêcheurs au Vidourle - Maset du Petit Nice
1898 - Felibre sur le pont - Maset du Petit Nice
1832 - Plan de délimitation
1858 - Carte au 80 000 ème, Implantation Bac,
Barrage à réparer
1860 - Plan du Gué
1895 - Carte d'Etat-Major
Plage de Villetelle
Auteur : François Lavergne
Historien amateur, passionné et éclairé, François, co-Président de l'association, et par ailleurs aubaisien accomplit un formidable travail de recherche et de collectionne depuis de nombreuses années objets et documents relatifs à l'histoire d'Aubais. Conférencier et guide à ces heures perdues, son patient et minutieux travail de recherche est à l'origine de cette série Biblioteca Albassiana.