[ N°7 ] CA ROULE SUR LE PONT
Et l’eau circule sans le moindre coup de klaxon
Reconnaissez-vous ce pont situé à Aubais ? Non ? Le pont dit "Saint-Nazaire"... ?
Toujours pas ?
Un indice
Pourtant, nous l’empruntons tous lorsque nous franchissons le Rieu en quittant Aubais pour aller vers Gallargues-le-Montueux par la Départementale D12. Pour vous repérer, le panneau « Aubais Grand-chemin » est situé au niveau de ce pont.
Un pont qui en cache d’autres
Notre histoire commence il y a 250 ans...
Le pont est nommé « pont Saint-Nazaire » sur la carte de Cassini. Les Cassini sont une célèbre famille de géographes qui dans la seconde moitié du XVIIIème siècle établissent la première carte de France détaillée.
Ce pont "Saint-Nazaire" existait donc déjà avant 1770.
« Pont Saint-Nazaire », cela rappelle évidement la chapelle du même nom. En effet, à vol d’oiseau, nous ne sommes pas si loin de la chapelle, à une époque où les noms de lieux couvraient parfois des territoires bien plus vastes que maintenant.
D'ailleurs, nous devrions dire « les » ponts Saint-Nazaire. En effet, ce sont 6 arches qui sont étalées sur 80 mètres. Cela démontre qu’à la construction, on connaissait déjà et on ne méprisait pas les risques d’inondations et de débordement du Rieu.
Un travail d’orfèvre
Reposant sur un soubassement de lourdes pierres horizontales, les voûtes en plein cintre d’entrées et de sorties, sont constituées par 17 longues boutisses en calcaire, taillées et agencées avec soins. Une boutisse est une pierre dont la longueur se trouve dans l'épaisseur du mur et dont un des bouts est en parement. Les voûtes sont clavées par des clefs de voûtes centrales. Les côtés des tunnels sont appareillés en pierres sèches.
Ces tunnels ne traversent pas perpendiculairement la route, mais forment un léger angle dans le sens du courant pour faciliter l’écoulement du Rieu. Sur certains tunnels, la chaussée est bâtie sur de larges pierres plates posées sur les arches.
A certaines sorties, un système de trappes enchâssées entres deux lourdes pierres rainurées et plantées de chaque côté du ruisseau, permettait de former un petit barrage pour retenir de l’eau, probablement pour irriguer des jardins en aval.
Certaines arches sont doublées, quelques unes pour élargir la route, d’autres ont été renforcées plus récemment de béton.
Ces ponts semblent de constructions homogènes, vraisemblablement bâtis lors d’un seul chantier et probablement au début du XVIII ème siècle, par la volonté du fameux marquis d’Aubais.
Au-delà du devis…
Un siècle plus tard, ces ponts auront besoin d’importantes réparations comme le démontre un "devis estimatif des ouvrages à exécuter sur le chemin du Pont de Lunel à Sommières, dans la partie qui traverse le territoire d’Aubay et le long des prés de cette commune où il se trouve plusieurs ponts et des chaussées dans un très mauvais état".
Ce devis est dressé par Jean VALENTIN, entrepreneur des travaux publics de la commune d’Aubais par ordre de monsieur le Maire. Le document est non daté, non signé mais l’observation du papier, de l’écriture et l’emploi des mesures métriques permettent d’estimer son écriture du 1er tiers du XIXe siècle. [Archives Communales Aubais. 1.0.3]
On retient de ce devis que l’un des six ponts est « écroulé », quatre autres sont à réparer. Il faudra 175 « bugets gros de pierre ordinaire des carrières d’Aubais », du sable et de la chaux pour « refaire » ces ouvrages. Les bugets sont des blocs de pierre réguliers.
La chaussée ne vaut pas mieux, malgré « l’empierrement qui a été fait sur le chemin dans la même partie d’un mètre d’épaisseur en certains endroits sur la longueur de deux cent six mètres ». Il faut « refaire en entier les murs de soutènement de la chaussée » sur 322 mètres linéaire ; couronner le dit mur (de) 200 pièces « de pierre de taille, d’un mètre de longueur, 50 centimètres largeur 25 centimètres épaisseur » (toutes ces pierres seront proprement taillées et appareillées) ; et « 400 journées d’enfant pour transporter de petit gravier sur l’empierrement qui a été fait dans tout la longueur du territoire d’Aubais que traverse le dit chemin ». Ces "journées d’enfant" sont intrigantes, au passage...
Au-delà du temps
Ce pont est un des rares monuments publics d’Aubais, un témoignage du patrimoine propre au territoire. Solidement bâti, il a résisté au temps et aux passages des véhicules.
Le pont Saint-Nazaire mériterait une étude plus approfondie, être préservé et conservé, et peut-être mis en valeur. L’ensemble mériterait sûrement d’être nettoyé et curé. Actuellement, les dépôts et la broussaille font obstacle à l’écoulement des eaux de pluie et favorise l’inondation de la route.
Mais attention ! les accès sont rendus dangereux par la circulation !
Et pour aller plus loin… : Transcription du devis estimatif
Devis estimatif des ouvrages à exécuter sur le chemin du Pont de Lunel à Sommières, dans la partie qui traverse le territoire d’Aubay et le long des prés de cette commune où il se trouve plusieurs ponts et des chaussées dans un très mauvais état, indépendamment de l’empierrement qui a été fait sur le chemin dans la même partie d’un mètre d’épaisseur en certains endroits sur la longueur de deux cent six mètres. Dressé par Jean VALENTIN (1) entrepreneur des travaux publics de la commune d’Aubais par ordre de m. le maire de cette commune.
Article 1er. Pour réparer quatre des dits ponts
- 25 buget gros de pierre ordinaire des carrières d’Aubais indépendamment du -transport qui sera fait par prestation……………………………...5 frs
- Chaux et sable…………………………………………………..10 frs
- Main d’oeuvre…………………………………………………..15 frs
Article 2. Pour refaire en entier l’un dits ponts qui est entièrement écroulé.
- 150 buget gros, indépendamment du transport………………….30 frs
- Chaux et sable…………………………………………………..10 frs
- Main d’oeuvre…………………………………………………..72 frs
Article 3. Pour refaire en entier les murs de soutènement de la chaussée
1° du coté du midi 200 mètres de longueur sur un mètre de hauteur et 50 centimètres d’épaisseur.
- Chaux et sable…………………………………………………....72 frs
- Main d’oeuvre……………………………………………..…....250 frs
- Pierres de taille manquant pour couronner le dit mur 150 pièces d’un mètre de longueur, 50 centimètres largeur 25 centimètres épaisseur…..….120 frs
- Main d’ouvre pour la taille et l’appareillement des dites pièces..100 frs
2° du coté du nord 122 mètres longueur sur un mètre de longueur, 50 centimètres largeur 25 centimètres épaisseur.
- Chaux et sable…………………………………………………....50 frs
- Main d’oeuvre…………………………………………..….....100 frs
- Pierres de taille manquant pour couronner le dit mur 50 pièces de la même dénomination que les précédentes………………………………...40 frs
- Main d’oeuvre pour la taille…….………………………………..35 frs
Article 4. Deux gondoles à pratiquer l’un à chaque bout de la chaussée en pavés de pierre dure.
-30 mètres de pavés, indépendamment des pierres qui seront transportées par prestation………………………………………………………...22,50 frs
- 400 journées d’enfant pour transporter de petit gravier sur l’empierrement qui a été fait dans tout la longueur du territoire d’Aubais que traverse le dit chemin .........……………………………………….…….200 frs
(1) Dans un texte du 02 septembre 1793, Jean VALENTIN est âgé de 35 ans environ, il est marié à Marguerite Grève. (Archive Privée, Mme Gréggio, Marsillargues, confiées 09.1999.) . Par exemple, il aurait eut 52 ans en 1810.
Auteur : François Lavergne
Historien amateur, passionné et éclairé, François, co-Président de l'association, et par ailleurs aubaisien accomplit un formidable travail de recherche et de collectionne depuis de nombreuses années objets et documents relatifs à l'histoire d'Aubais. Conférencier et guide à ces heures perdues, son patient et minutieux travail de recherche est à l'origine de cette série Biblioteca Albassiana.